HECTOR
BERLIOZ
extrait de l'article "DE L'INSTRUMENTATION
" (1841-42) Les cors
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Le
cor est un instrument d'un caractère noble
et mélancolique: l'expression de son timbre
et sa sonorité ne sont pas telles cependant,
qu'il ne puisse figurer dans toute espèce de
morceaux. Il se fond aisément dans l'ensemble
harmonique; et le compositeur, même le moins
habile, peut à volonté, le mettre en
évidence ou lui faire jouer un rôle utile
antant qu'inaperçu.
Le
cor a deux espèces de sons de natures fort
différentes: les sons ouverts, qui sortent
naturellement de l'instrument sans autre secours que
celui des lèvres et du souffle de l'exécutant,
et les sons bouchés, qu'on obtient qu'en fermant
plus ou moins le pavillon avec la main. Les anciens
maîtres se sont bornés, en général,
à l'usage des sons ouverts, qu'ils écrivaient,
en outre, il faut l'avouer, très maladroitement
[...] Ce système est sans doute infiniment
supérieur à la méthode contraire,
adoptée aujourd'hui par la plupart des compositeurs
français et italiens, et qui consiste à
écrire les cors absolument comme des bassons
ou des clarinettes, sans tenir compte de la différence
énorme qui éxiste entre les sons bouchés
et les sons ouverts, comme aussi entre certains sons
bouchés et certains autres, sans se soucier
de la difficulté qu'il y a pour l'exécutant
à prendre telle ou telle note après
une autre qui ne l'amène pas naturellement,
de la justesse douteuse, du peu de sonorité
ou du caractère rauque, étrange des
intonations que l'on prend en bouchant les deux tiers
ou les trois quarts du pavillon, sans avoir l'air
de se douter enfin qu'une connaissance approfondie
de la nature de l'instrument, le goût et le
bon sens puissent avoir quelque chose à démêler
avec l'emploi des sons que ces maîtres écoliers
jettent ainsi à tout hasard dans l'orchestre.
La pauvreté même des anciens est évidemment
préférable à cet ignorant et
odieux gaspillage. [...]
On
doit aussi tenir compte, jusqu'à un certain
point, de l'habitude fâcheuse, à mon
sens, que conservent encore beaucoup d'exécutants
de se diviser en joueurs de premier cor et joueurs
de second cor, comme s'il s'agissait de deux instruments
différents. Les uns, se servent d'une embouchure
étroite qui aide l'émission des tons
hauts, ont en conséquence autant de facilité
à monter que de peine à descendre, ce
sont les premiers cors; il ne faut pas compter sur
eux pour les notes de l'extrémité inférieure.
Les autres, avec leur large embouchure, ont au contraire
beaucoup de peine à monter, les sons graves
leur sont plus familiers [...] : ce sont les seconds
cors. [...]
Aucun maître, à mon avis, n'a su tirer
des cors un parti plus original, plus poétique
en même temps et plus complet que Weber. Dans
ses trois chefs-d'oeuvre, Obéron, Euryanthe
et le Freyschütz, il leur fait parler une langue
admirable autant que nouvelle, que Méhul et
Beethoven seuls semblent avoir comprise avant lui,
et dont Meyerbeer, mieux que tout autre, a maintenu
la pureté[...]
J'ai dit en commençant que le cor était
un instrument noble et mélancolique, malgrè
ces joyeuses fanfares de chasse qu'on cite si souvent.
En effet, la gaieté de ces airs résulte
plutôt de la mélodie elle-même
que du timbre des cors; les fanfares de chasse ne
sont vraiment joyeuses que si elles sont jouées
sur des trompes, instrument peu musical, dont le son
strident, tout en dehors, ne ressemble point à
la voix chaste et réservée des cors.
En forçant d'une certaine manière l'émission
de l'air dans le tube du cor, on arrive cependant
à le faire ressembler à la trompe; c'est
ce qu'on appelle faire cuivrer les sons. Celà
peut être quelquefois d'un excellent effet,
même sur des notes bouchées. Quand il
s'agit de forcer des notes ouvertes, les compositeurs
éxigent ordinairement, pour donner au son toute
la rudesse possible, que les exécutants lèvent
les pavillons; ils indiquent alors la position de
l'instrument par ces mots pavillons en l'air. [...]
Le cor à pistons, qui peut, au moyen de son
mécanisme particulier, faire toutes les notes
ouvertes, rendra sans doute plus tard de grands services
à l'instrumentation; mais on ne devra jamais,
je le crois fermement, le considérer comme
un perfectionnement du cor, dont il diffère
par la nuance de son timbre. Il faudra le traiter
comme un nouvel instrument, propre surtout à
donner de bonnes basses, vibrantes et énergiques,
qui n'ont pas cependant autant de force que les sons
graves du trombone auxquels ils ressemblent beaucoup.
La fabrication du cor à pistons n'a pas encore
été assez étudiée pour
faire disparaître le défaut de justesse
et l'instabilité de plusieurs sons; cet état
d'imperfection a jusqu'à présent empêché
la plupart des maîtres d'en faire usage. Ils
lui sont hostiles, en outre, parce que depuis son
introduction dans les orchestres, certains cornistes
se plaisent à jouer sur le cor à pistons
les parties de cor ordinaire, trouvant plus commode
de donner en sons ouverts avec les pistons les notes
bouchées écrites avec intention par
l'auteur. Le cor à pistons peut néanmoins
produire également les sons bouchés;
mais comme son mécanisme n'a d'autre but que
d'ouvrir tous les sons, il vaut mieux évidemment
le laisser dans sa spécialité et demander
les effets de sons bouchés aux cors ordinaires
seulement.
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